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Histoire de chinoiseries en France - Partie III

A l’aube de la révolution française, la mode des chinoiseries, déjà bien attaquée par le néo-classicisme du style Louis XVI, s’apprête à disparaitre avec les derniers fastes du XVIIIe siècle. Signant une époque révolue, celle des fastes et de la légèreté d’un temps désormais tenu pour décadent, les ornements à la chinoises sont désormais vulgaires, ostentatoires, et démodés. L’époque est à l’imitation de l’antiquité grecque et romaine, vue comme le canon de la vertu républicaine. Le style directoire prône simplicité et sobriété.

Par ailleurs, la disparition des corporations de métiers aux règles strictes imposées par l’ancien régime ainsi que la fuite des aristocrates chamboulent le marché du luxe, et les importations d’objets orientaux.

Avec le début des guerres de la République, puis du Directoire, du Consulat et de l’Empire, le commerce international se retrouve d’ailleurs perturbé, le Royaume-Uni contrôlant les mers au désavantage de la France. Le langage ornemental français se nourrit des guerres du moment, avec notamment une explosion de l’égyptomanie au retour de la campagne Napoléonienne sous les pyramides.   

Jean-Léon Gérome, Réception des ambassadeurs siamois par Napoléon III et l'Impératrice Eugénie dans la grande salle de bal Henri II du château de Fontainebleau, le 27 juin 1861, Musée national du Château de Versailles © AYE R / Public domain - Creative Commons

Jean-Léon Gérome, Réception des ambassadeurs siamois par Napoléon III et l'Impératrice Eugénie dans la grande salle de bal Henri II du château de Fontainebleau, le 27 juin 1861, Musée national du Château de Versailles © AYE R / Public domain - Creative Commons

Martin Carlin, Commode, laque du Japon, bronzes dorés, vers 1773, Musée de la Légion d'honneur, San Francisco © Daderot / Public domain - Creative Commons

Martin Carlin, Commode, laque du Japon, bronzes dorés, vers 1773, Musée de la Légion d'honneur, San Francisco © Daderot / Public domain - Creative Commons

Adam Weisweiler, Table à écrire en laque du Japon, 1784, Musée du Louvre © Tangopaso / Public domain - Creative Commons

Adam Weisweiler, Table à écrire en laque du Japon, 1784, Musée du Louvre © Tangopaso / Public domain - Creative Commons

Après la fin de l’épopée Napoléonienne et le retour de la monarchie, les caisses sont vides et la restauration ne voit pas d’évolution stylistique majeure autre que la prolongation des styles néo-classiques précédents. Il faut attendre le Second Empire pour que l’esthétique du XVIIIe siècle revienne à la mode, et avec elle les chinoiseries. Une nouvelle passion non seulement pour le goût chinois, mais aussi pour les arts de l’Asie en général. Observateurs de leur temps, mais nostalgiques d’une certaine grandeur française, les frères Goncourt se passionnent ainsi pour les productions artistiques d’extrême-orient.

Une vogue qui n’est pas sans arrière-pensées réactionnaires, exaltant un monde aristocratique disparu, celui du XVIIIe siècle et d’une France à son apogée, contre un quotidien de société bourgeoise. L’exemple vient d’en haut, et l’impératrice Eugénie se passionne pour Marie-Antoinette, remettant au goût du jour le style Louis XVI, avec ses rubans, ses guirlandes et ses feuillages…. Et bien entendu ses chinoiseries.

C’est le grand retour des laques, alors que l’impératrice récupère le mobilier de la défunte reine pour ses appartements dans les différents lieux de résidence du couple impérial : Saint-Cloud, Compiègne, Tuileries et Fontainebleau. Aux Tuileries, Eugénie fait ainsi installer la Table à écrirefabriquée par Adam Weisweiler pour Marie-Antoinette, en Ebène et laque du japon, ainsi que d’autres créations XVIIIe de Riesener et Carlin intégrants elles aussi des laques.

Le nouveau musée chinois de l’Impératrice installé dans le palais de Fontainebleau, Extrait Le Monde Illustré 1863  Compiègne - Le thé de l’Impératrice dans le Salon chinois, Extrait Le Monde illustré 1868   © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale

Le nouveau musée chinois de l’Impératrice installé dans le palais de Fontainebleau, Extrait Le Monde Illustré 1863 Compiègne - Le thé de l’Impératrice dans le Salon chinois, Extrait Le Monde illustré 1868 © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale

Salon de thé de l'Impératrice, Château de Compiègne © Daniel Villafruela / Public domain - Creative Commons

Salon de thé de l'Impératrice, Château de Compiègne © Daniel Villafruela / Public domain - Creative Commons

Dans les châteaux de Compiègne et de Fontainebleau, l’impératrice fait installer respectivement un salon de thé, et un musée chinois. Pour le premier, elle choisit du mobilier XVIIIe avec notamment des meubles en laque de chine rouge, ainsi que des pièces de son temps. Des influences mélangées avec goût, faisant ainsi preuve d’un éclectisme en décoration intérieure qui restera la marque du style Second Empire.

Pour Fontainebleau, l’orientalisme exubérant de l’impératrice est encore plus marqué avec l’installation non seulement d’un musée chinois en 1863, mais aussi d’un salon des laques. Les cadeaux offerts par l’ambassadeur du Siam, reçu deux ans plus tôt dans le même château par l’empereur, fondent le début de la collection. Mais celle-ci vient bientôt s’agrandir de multiples nouveaux objets en provenance de Chine, où la deuxième guerre de l’opium et le sac du Palais d’Eté par les troupes franco-anglaises alimente la demande mondiale en antiquités extrêmes-orientales.

Depuis Guernesey, Victor Hugo s’élève contre ce pillage. Collectionneur de nombreux objets d’art d’Extrême-Orient, le grand écrivain qui s’est même pris à dessiner des panneaux imitant les laques asiatiques pour décorer sa chambre est un admirateur de la civilisation chinoise. Il dénonce le sac du Palais d’Eté, comparant la France et l’Angleterre à « deux bandits », et usant de multiples louanges pour décrire le monument disparu : « Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. »

 Salon chinois de la maison de Victor Hugo à Paris © Vassil © Zairon / Public domain - Creative Commons

Salon chinois de la maison de Victor Hugo à Paris © Vassil © Zairon / Public domain - Creative Commons

Leo Scherer, Prise de la résidence d'été de l'Empereur de la Chine en 1860, Estampe © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale

Leo Scherer, Prise de la résidence d'été de l'Empereur de la Chine en 1860, Estampe © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale

C’est tout le paradoxe de cette deuxième vague de chinoiseries. Si elle se lance en imitation du XVIIIe siècle, son rapport à la réalité asiatique est tout autre. Alors que les européens d’autrefois fantasmaient un orient lointain à travers des objets fascinants et exotiques, le monde occidental est désormais aux prises directes avec plusieurs pays de la région, menant de front des guerres pour les forcer à s’ouvrir au commerce international. Une première mondialisation à la force des baïonnettes, provoquant pillages et spoliations de biens culturels précieux. L’orient n’est désormais plus cet ailleurs sur lequel projeter ses fantasmes, mais des pays bien identifiés, clients, alliés ou ennemis.

Meuble à porte, laque de chine © RINCK

Meuble à porte, laque de chine © RINCK

La plus grande vogue de goût asiatique de la deuxième partie du XIXe siècle concerne d’ailleurs le Japon, ouvert par la force aux étrangers par les Etats-Unis en 1853. A Paris, la participation de l’Empire à l’Exposition universelle de 1867 lance une vogue de Japonisme forcené, inaugurant plus d’un siècle et demi de fascination française pour cet archipel du bout du monde.  C’est la première fois que le pays présente un pavillon, et ses objets d’art vont marquer la foule des visiteurs, faisant rayonner le goût pour les produits japonais au-delà du cercle restreint des élites qui les appréciaient jusqu’alors.

Les techniques industrielles ayant entre temps évoluées, les ateliers peuvent désormais produire à plus grande échelle des objets laqués, en utilisant notamment le papier maché. En 1879 ouvre à Lyon le Musée Guimet, présentant les collections d’art asiatique du voyageur Emile Guimet. Le bâtiment déménagera à Paris quelques années plus tard.

Meuble haut de style chinois, laque de chine © RINCK - inspiré des meubles chinois importés au XIXeme siècle, par sa forme, ses peintures et son ornementation.

Meuble haut de style chinois, laque de chine © RINCK - inspiré des meubles chinois importés au XIXeme siècle, par sa forme, ses peintures et son ornementation.

L’exposition Universelle de 1867 - Pavillon du Japon, Extrait Le Monde illustré 1867 © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale

L’exposition Universelle de 1867 - Pavillon du Japon, Extrait Le Monde illustré 1867 © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale

Deux ans plus tard, dans sa « maison d’un artiste », Edmond de Goncourt raconte sa maison, son mobilier et ses collections. Voici la critique qu’en livre Maupassant dans le journal « Le Gaulois » : « Et nulle maison, en effet, n’est plus curieuse à visiter que la sienne. C’est un résumé de l’art français au dix-huitième siècle, et en même temps un tableau rapide des merveilles de l’Orient, un récit pour les yeux de ces étincelantes industries de la Chine et du Japon. Car Goncourt est né bibelotier. Il l’est plus que personne ; c’est évidemment là son vice, ce vice aimé, ruineux, rongeur, que chacun porte en soi. » Et un peu plus loin, l’écrivain d’insister « Mais nous passons dans le sanctuaire, dans le salon des collections. Ici la Chine et le Japon dominent. Tout autour de l’appartement, de grandes vitrines enferment des trésors. En fait de porcelaines, une assiette qui montre un oiseau perché sur une branche est ce que j’ai jamais vu de plus parfait. »

Le Musée Guimet à Lyon © Bibliothèque municipale de Lyon

Le Musée Guimet à Lyon © Bibliothèque municipale de Lyon

La fin du XIXe siècle voit le goût asiatique se diffuser dans l’art grâce au japonisme, particulièrement fécond dans le domaine de la peinture. La jeune garde impressionniste découvre les estampes, remettant en cause les canons des beaux-arts occidentaux. Une vogue qui se répand elle aussi dans les arts décoratifs, préfigurant bientôt l’art nouveau. Le XXe siècle s’annonce.