Coiffeuse Laque de style Louis XV, laque de Chine, ensemble bronzes ciselés dorés, dessus verre,  120 x 60 x 75 cm ©RINCK

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Histoire des chinoiseries en France- Partie I

1368. Alors que la guerre de Cent Ans fait encore rage en France, à 8000 kilomètres de là, Hongwu, le nouvel empereur de Chine, chasse les mongols du pouvoir et fonde la dynastie Ming. Galvanisé par la fin de la domination d'une dynastie étrangère, l'Empire du Milieu ferme ses frontières au reste du monde, à de très rares exceptions prés. Soixante-dix ans plus tôt, en 1298, le récit d'un commerçant vénitien à la cour de Khubilai Khan avait pourtant suscité un immense intérêt en Europe.

Installant le mythe d'une Chine immensément riche et exotique, Le Dévisement du monde de Marco Polo est ainsi traduit en français en Livre des Merveilles et suscite admiration et étonnement à travers tout le continent au fur et à mesure de sa diffusion. Un étonnement que ne peut que renforcer la décision de la nouvelle dynastie de fermer les frontières du pays, quelques décennies plus tard. Qui sait alors quels trésors merveilleux se cachent dans cette immense Empire ? Les liens s'estompent, et le mythe s'installe.

Marco Polo, Livre des Merveilles © gallica.bnf.fr/bnf

Marco Polo, Livre des Merveilles © gallica.bnf.fr/bnf

Il faut attendre le début du XVIème siècle pour que les commerçants portugais tentent, sans grand succès, de s'établir en Chine, suivi de près par les Jésuites, cette fois-ci de façon permanente. 

En 1601, à l'aube du XVIIème siècle, le missionnaire Matteo Ricci devient le premier européen à accéder à la cour de l'Empereur. Ses récits et ceux de ses compagnons relancent en Europe le mythe de l'Empire du Milieu. La Compagnie des Indes orientales commence à commercer à partir de Canton afin d'exporter thé, soie et porcelaines, soit les marchandises les plus chères, vers Londres. Le reste des nations européennes suit le mouvement, hollandais, portugais, puis français. Outre les cargaisons des bateaux, les marins ramènent de nombreux objets de curiosité, révélant ainsi les laques chinoises au public européen.

Dès le début du siècle, les objets chinois conquièrent ainsi un public de collectionneurs fortunés. L'inventaire des meubles du cardinal Mazarin, établit en 1653, détaille ainsi pièces de mobilier, brocarts et soieries dans le goût chinois. A Canton, on commence d'ailleurs à exporter des créations spéciales pour le marché européen, à l'ornement exagéré, correspondant au goût baroque et qui passeraient pour vulgaires en Chine. En 1665, la parution des voyages de Nieuhoff renforce encore le goût exotique, avec ses dessins extraordinaires qui influenceront plusieurs générations d'architectes et d'ornemanistes. Bientôt, Louis XIV se montre en habit de bal "à la chinoise", et lance même la construction d'un Trianon de Porcelaine sur le domaine du Château de Versailles.

Auteur inconnu, Esquisse du Trianon de Porcelaine, 1990

Auteur inconnu, Esquisse du Trianon de Porcelaine, 1990

Bien entendu, ce grand engouement orientaliste a une idée très imprécise de l'Extrême-Orient, et les influences se mélangent allégrement, mixant dans un joyeux inventaire les ornements chinois, japonais, ou même indiens et perses, ainsi que les animaux exotiques et leur déclinaison ornementale comme les singeries. Il suffit d'écouter l'opéra baroque Les Indes Galantes de Rameau, présenté en 1735, pour se faire une idée de la vision sommaire du monde extra européen : sont ainsi regroupés sous le nom les Indes quatre actes correspondants aux turcs, aux perses, aux Incas et aux indiens d'Amérique.

 Perelle (fin XVIIe s.), Le Trianon de Porcelaine, du côté des jardins, Gravure reproduite dans L'architecture et la décoration au Palais de Versailles et des Trianons, sous la direction de Paul favier (début XXe) © Archives départementales des Yvelines

Perelle (fin XVIIe s.), Le Trianon de Porcelaine, du côté des jardins, Gravure reproduite dans L'architecture et la décoration au Palais de Versailles et des Trianons, sous la direction de Paul favier (début XXe) © Archives départementales des Yvelines

 Laque du Vietnam, avec insertion de coquille d'oeufs, Mobilier ©RINCK, Laque Atelier Midavaine

Laque du Vietnam, avec insertion de coquille d'oeufs, Mobilier ©RINCK, Laque Atelier Midavaine

Parmi les objets rapportés de Chine, les laques sont rapidement adoptés par les européens, et deviennent extrêmement prisés. Leurs panneaux commencent à être adaptés par les ébénistes, et deviennent incorporés à des pièces de mobilier ou des boiseries. Devant l'engouement, des tentatives de reproduction sont menées dans toute l'Europe, mais elles échouent car la sève du Rhus Verniciflua, indispensable dans les productions chinoises, n'est pas disponible en Europe, et sèche durant le long voyage pour revenir d'Asie.

Cette variété de sumac, aussi appelé arbre à laque, est à l'origine des laques asiatiques, avec quelques variantes selon les pays, en Chine, au Japon ou encore au Vietnam. Toutes procèdent néanmoins d'une même utilisation de base de la résine, appliquée en cinq à sept couches.

Laque du Vietnam

Laque du Vietnam

Laque de Coromandel

Laque de Coromandel

Les laques de Chine sont ainsi préparées sur papier avant d'être recollé sur le support final, donnant un aspect craquelé à l'ensemble, alors que les laques du Japon sont réalisées directement sur le support final, et résistent mieux à l'eau. Celles du Vietnam incorporent d'autres matériaux comme de la nacre ou des coquilles d'œuf. Enfin, le nom de laque de Coromandel décrit une technique chinoise polychrome, ayant improprement pris le nom de Coromandel, port indien dans lequel les bateaux s'arrêtaient, et dont le nom gravé sur les caisses de transport fit croire aux contemporains à un lieu de provenance.

La demande excédant l'offre en Europe, tout le continent continue de tenter à reproduire les laques asiatiques, avec des premiers succès, mitigés. Les hollandais prennent une certaine avance, jusqu'à ce qu'à Paris, les frères Martin inventent un vernis qui prendra leur nom, le vernis Martin. D'abord pensé pour joindre les différents panneaux de laque importés sans discontinuité, il va bientôt permettre la création d'imitations complétement françaises. Le procédé, utilisant de la résine de copal, apparaît dans le Faubourg Saint-Antoine à Paris en 1728, à peine cinq ans après le début du règne personnel de Louis XV.

C'est ce règne qui va bientôt se confondre avec le triomphe des chinoiseries. Après le style fastueux mais empesé du siècle de Louis XIV, et une fin de règne interminable marquée par le retour à la religion du vieux roi, l'aristocratie veut s'amuser. La régence du Duc d'Orléans, de 1715 à 1723, est marquée par un esprit libertin, une série de fêtes, de bals et de dîners. Un esprit qui se retrouve bien entendu dans le langage ornemental de l’époque, avec le triomphe du style Rocaille, ou Roccoco pour le reste de l’Europe, qui se confondra avec le règne le Louis XV.

Premier style européen valorisant l’asymétrie, le rocaille est fait pour les chinoiseries, et va faire exploser leur diffusion à un niveau jamais vu auparavant. Le vernis Martin aidant, le mobilier est couvert de saynètes à la chinoise, et on retrouve même des ornements d’inspiration asiatiques sur les boiseries, que ce soit en laque, mais aussi en peinture comme dans le salon chinois peint par Huet au Château de Champs-sur-Marne en 1748. Ce type de décor se retrouve aussi dans le Château d'Haroué, en Lorraine, réalisé par Jean Pillement, un des grands ornemantistes de l'époque, qui diffusent le goût chinois dans toute l'Europe. Le peintre le plus célèbre de l'époque, François Boucher, s'empare lui aussi des chinoiseries qu'il représente allégrement dans ses compositions.

hevet Rinck, laque chinoise, décor à l'or sur fond blanc Mobilier ©RINCK, Laque Atelier Midavaine

hevet Rinck, laque chinoise, décor à l'or sur fond blanc Mobilier ©RINCK, Laque Atelier Midavaine

Parmi les grands ébénistes de l'époque, Bernard II Van Riesen Burgh, maître parisien d'origine hollandaise, comme beaucoup de ses confères, a une influence particulière sur le style Louis XV. Il est en effet précurseur du gallbage des laques de Chine, pouvant ainsi les adapter sur les formes généreuses du mobilier à la mode. L'un de ses confrères, Joseph Baumhauer, se spécialise lui dans les laques japonaises. Le Faubourg Saint-Antoine tout entier tourne au rythme des chinoiseries, comme le reste de l'Europe, qu'il s'agisse de mobilier comme les créations de Thomas Chippendale en Angleterre, ou de boiseries comme celles de la chambre japonaise au château d'Hetzendorf.

Bureau Laque de style Louis XV, laque de chine, ensemble bronzes ciselés dorés, dessus cuir,  120 x 60 x 75 cm ©RINCK

Bureau Laque de style Louis XV, laque de chine, ensemble bronzes ciselés dorés, dessus cuir, 120 x 60 x 75 cm ©RINCK

Mais à l'approche du règne de Louis XVI, le style transition annonce la fin du Rocaille. Les lignes se simplifient, et le goût de la pureté antique et du pastoralisme heureux s'installe dans l'imaginaire collectif.

A Suivre ....

- Valentin Goux -