De toutes les pièces de mobilier, la chaise est sans doute celle qui reflète le mieux son temps. Au XVIIIe siècle, elle symbolise le pouvoir avec ses fauteuils aristocratiques que l'on déplace à l'envi. Au XIXe siècle, elle se fait bourgeoise dans les salles à manger familiales, avant de devenir un objet de design évolutif au XXe siècle. La chaise accompagne ainsi les mutations des modes de vie, révélant par son apparence les bouleversements de son époque.
La Chaise, Miroir d’une Époque : Une Épopée du Design
Au début du XXe siècle, le design de chaises reste empreint des influences du XIXe siècle, réinterprétant des styles classiques comme le Louis XVI ou le néo-renaissance « Henri II ». Cependant, l'avènement du modernisme apporte rapidement une nouvelle perspective. Des créateurs avant-gardistes tels que Charles Rennie Mackintosh et Josef Hoffmann expérimentent avec des formes géométriques et des structures allégées, posant les premières pierres d’une esthétique fonctionnelle et minimaliste.
Puis arrive le mouvement Bauhaus, fondé en Allemagne dans les années 1910, qui révolutionne l'art du mobilier, chaises incluses. Le Bauhaus défend un design épuré et fonctionnel, où l'esthétique est indissociable de l'utilité. La chaise « Wassily » de Marcel Breuer, conçue en 1925, en est le parfait exemple. Fabriquée en tubes d'acier et cuir, elle incarne l'essence du Bauhaus : la forme suit la fonction. Ce design novateur ouvre la voie à une nouvelle génération d’architectes qui voient en la chaise un terrain d’expérimentation idéal.
Les décennies suivantes, des années 1940 aux années 1960, sont souvent considérées comme l'âge d'or du design de chaises. Cette période est marquée par l’émergence de designers visionnaires comme Charles et Ray Eames, Eero Saarinen et Arne Jacobsen. Ces créateurs repoussent les frontières du possible avec des formes innovantes et des matériaux inédits. La Lounge Chair des Eames (1956) devient l'emblème du luxe moderne, alliant élégance et ergonomie grâce au contreplaqué moulé et au cuir. Arne Jacobsen, quant à lui, conçoit la « Egg Chair » (1958), véritable sculpture enveloppante qui incarne le design biomorphique.
L'exploration des matériaux synthétiques prend son essor avec la chaise Panton de Verner Panton (1967). Réalisée en une seule pièce de plastique moulé, cette chaise audacieuse marque un tournant, exploitant les possibilités infinies du plastique, succédant ainsi au métal et au contreplaqué.
Les années 1970 et 1980 voient une explosion de styles et une créativité débridée. Le postmodernisme fait son entrée avec ses couleurs éclatantes, ses formes exagérées et son éclectisme décomplexé. Des figures comme Ettore Sottsass et le groupe Memphis bouleversent les conventions, jouant avec les formes et les fonctions. La chaise « First » de Michele De Lucchi (1983), avec ses lignes surprenantes et ses couleurs contrastées, devient un symbole de cette époque où tout semble possible.
À la fin du XXe siècle, la durabilité et les préoccupations écologiques s’invitent dans le design de chaises. Les matériaux recyclés et écologiques gagnent du terrain, à l'image de la « 1006 Navy Chair » d’Emeco, fabriquée à partir d'aluminium récupéré. En parallèle, Philippe Starck réinvente le classique avec sa Louis Ghost Chair (2002), fusionnant le style Louis XVI avec le polycarbonate transparent, symbole d’un dialogue entre passé et futur. L’ère moderne voit aussi l’essor des chaises ergonomiques, comme la « Aeron Chair » (1994) de Herman Miller, conçue pour les longues heures de travail au bureau. Réglable et dotée de matériaux respirants, elle inaugure une ère où le confort et la santé priment.
Le XXe siècle a donc vu la chaise évoluer au rythme des changements sociétaux, technologiques et culturels. Le design continue de se réinventer au XXIe siècle, influencé par les technologies émergentes, les enjeux écologiques et les besoins toujours changeants des utilisateurs. Un héritage riche qui guide encore aujourd’hui les designers vers de nouvelles innovations.