Palais de l'Élysée - Grille d'honneur © Creative Commons/Paris 16

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Heritage

Dans le Faubourg du luxe, entre art et pouvoir

Au-delà des fortifications du Paris médiéval, l’un des quartiers les plus élégants du monde allait sortir d’une terre marécageuse. L’histoire du Faubourg Saint-Honoré synthétise à elle seule l’émergence d’un art de vivre aussi raffiné que rationnel dont le grand goût parisien se réclame encore aujourd’hui.

La simple évocation du Faubourg Saint-Honoré, comme celle du château de Versailles, suffit à définir un luxe français paroxystique, faramineux et proche du pouvoir. Ce quartier et ce palais aux destins pourtant mal engagés, sont tous deux édifiés sur des marais hostiles à toute domestication humaine et deviennent au bout du compte, des aires de pouvoir suprême. C’est d’ailleurs quand le château de Versailles perd sa place de centre du pouvoir absolu que le Faubourg Saint-Honoré à Paris prend immédiatement la relève. Comment ce quartier, plutôt excentré, va-t-il assoir la suprématie d’un goût parisien pendant plus de deux siècles ?

Texte de Sylvain Michaud

Image de gauche : Palais de l'Élysée - Grille d'honneur © Creative Commons/Paris 16

Si l’on date son émergence au début du XVIIIème, le « faubourg saint Ho » n’a pourtant pas attendu la mort de Louis XIV pour s’animer. Au XIIème siècle déjà, cette terre marécageuse prend une certaine importance au moment où l’accroissement de la population impose aux Parisiens des aménagements de ce marais pour répondre à leurs besoins alimentaires. Les drainages et assèchements vont permettre le maraîchage et la culture à grand échelle dans ce territoire de l’ouest où se dressent dès le XIIIème siècle, trois villages gouvernés par un couvent de Bénédictines installé dans la paroisse la plus importante qu’on appelait Ville-l’Evêque.

Quelques demeures patriciennes sont élevées çà et là aux XIVème et XVème siècles ; l’aristocratie de ces temps troublés par la guerre de Cent Ans et les épidémies diverses vient y respirer un air plus sain tout en bénéficiant d’une nourriture fraîche, abondante et accessible.

Plan de Paris de Georg Braun et Frans Hogenberg, Editions Civitates Orbis Terrarum, 1593 - Bibliothèque Weimar © Creative Commons/Paris 16

Plan de Paris de Georg Braun et Frans Hogenberg, Editions Civitates Orbis Terrarum, 1593 - Bibliothèque Weimar © Creative Commons/Paris 16

Les XVIème et XVIIème siècles verront la paroisse de Ville L’Évêque s’agrandir. Hors des murs de Paris, les impôts et taxes sur les marchandises sont moins lourds. Cela incite un grand nombre d’habitants à chercher un refuge économique dans ce qu’on n’appelle pas encore une banlieue. On s’y loge et on s’y nourrit sans pâtir des taxes foncières et marchandes en vigueur dans l’enceinte parisienne.  La rue du Faubourg-Saint-Honoré se nomme alors Chaussée de la Conférence du nom d’un évènement majeur des Guerres de Religion : la réunion entre Henri de Navarre et les Ligueurs où le futur roi décida d’abjurer sa foi calviniste.

Si ces prémices politiques sont prestigieuses, cette « chaussée-faubourg », alors simplement bordée de chaumières et de potagers, et qui prolonge la rue Saint-Honoré, n’est pas encore aussi recherchée par les grandes familles que le quartier du Marais. Le pouvoir est au Louvre, autour de la Place Royale (la Place des Vosges), bientôt à Versailles et ce jusqu’à la mort de Louis XIV en 1715.

Portrait de Louis XIV en costume de sacre, de Hyacinthe Rigaud, 1701 - Musée du Louvre  © Creative Commons/Abdicata

Portrait de Louis XIV en costume de sacre, de Hyacinthe Rigaud, 1701 - Musée du Louvre © Creative Commons/Abdicata

C’est pourtant le plus absolu des monarques qui, tout en se méfiant de Paris, favorise le retour du pouvoir économique et politique dans cette ville-monde déjà dominée par une nouvelle élite bourgeoise. Et pour cause, il en est la première source de revenus. Banquiers et grandes fortunes financent jusqu’à la fin du règne de Louis XIV ses guerres et campagnes. Si le Roi Soleil conquiert, perd et reconquiert plusieurs territoires voisins au moyen d’expéditions militaires ruineuses pour l’état, ses créanciers s’enrichissent considérablement. En effet, faute de régulation, les taux d’intérêt des emprunts royaux s’élèvent en moyenne entre 16% et 25%.

C’est l’avènement d’une très grande bourgeoisie parisienne dont les idées engendreront un contre-pouvoir qui supplantera progressivement la domination monarchique tout au long du siècle des Lumières.

Estampe d’Antoine Humblot représentant la banqueroute de Law, en l’année 1720, digne d’un krach boursier © Source gallica.bnf.fr / BnF

Estampe d’Antoine Humblot représentant la banqueroute de Law, en l’année 1720, digne d’un krach boursier © Source gallica.bnf.fr / BnF

Philippe d'Orléans (1674-1723), de Jean-Baptiste Santerre - Musée national du Château de Versailles © Creative Commons/Erkerßrand

Philippe d'Orléans (1674-1723), de Jean-Baptiste Santerre - Musée national du Château de Versailles © Creative Commons/Erkerßrand

Nommé régent du royaume à la mort du Roi Soleil, son neveu le duc Philippe d’Orléans délie les marchés financiers, favorise les systèmes bancaires et les spéculations de toutes sortes. Les grandes fortunes créancières de la couronne rachètent volontiers les parcelles du faubourg saint Honoré pour liquider leur nouvelle monnaie papier inventée par le financier Law. Ces assignats se révèleront être des produits financiers toxiques et provoqueront une banqueroute historique en ruinant les familles trop lentes à les réinvestir dans le foncier.

Plus avisée que beaucoup de familles aristocratiques, la grande bourgeoisie d’affaires s’empresse de racheter en dix ans les terrains de ce faubourg, en les acquérant parfois à quelques architectes brillants qui leur proposeront ainsi des terrains agrémentés de logis luxueusement modernes. Jardiniers et maraîchers sont rapidement expropriés de leur logis établis sur la rive nord de la rue du Faubourg Saint Honoré et laissent leurs places aux artisans du bâtiments, soucieux de demeurer au plus près de leurs chantiers. C’est toute une population qui se métamorphose. Trente hôtels particuliers sortent de terre, leurs jardins sont tracés et une nouvelle élite prend place brillamment dans un quartier qui ne finira plus de rayonner.

Place de la Concorde, dessin de Lemot François-Frédéric (1771-1827) © Source gallica.bnf.fr / BnF

Place de la Concorde, dessin de Lemot François-Frédéric (1771-1827) © Source gallica.bnf.fr / BnF

Le style classique mâtiné d’un esprit rocaille imprègne l’univers des architectes qui, en hybridant la rigueur du grand siècle avec la légèreté rococo, font émerger ce fameux style régence. Une grammaire de pierre et de métal rythme les façades de ces palais de poche. Les carrières de Saint Maximin dans l’Oise fournissent rapidement les chantiers en pierre de taille dures et lumineuses. C’est l’âge d’or de la ferronnerie d’art, des grilles monumentales et des garde-fous en fer repoussé, martelé et doré. Pavillons, frontons, péristyles et baies multiples animent les façades côté cour. Si l’ordonnance française des jardins domine encore l’art paysager pendant toute la première moitié du XVIIIème siècle, l’espace disponible entre la rue et l’avenue des champs Elysées tracés antérieurement par Le Nôtre permet aisément la création de parcs à l’anglaise.

Et même si en 1724 le pouvoir royal stoppe les spéculations et dresse un nombre de règles pour contrôler drastiquement le prix des parcelles et leur attribution, cela ne calme pas vraiment cette frénésie immobilière. La paix d’Aix la Chapelle en 1748 et l’aménagement de la place Royale, actuelle place de la Concorde accélèrent ce mouvement et le Faubourg Saint Honoré attire désormais en masse familles aristocratiques et grandes-bourgeoises.

Anonyme, 46e Vue d’optique représentant le Jardin et l’Hôtel d’Évreux (actuel Palais de l’Elysée) appartenant à Madame la Marquise de Pompadour, vers 1750 - Musée Carnavalet, Paris  © Creative Commons/ Mr.Nostalgic

Anonyme, 46e Vue d’optique représentant le Jardin et l’Hôtel d’Évreux (actuel Palais de l’Elysée) appartenant à Madame la Marquise de Pompadour, vers 1750 - Musée Carnavalet, Paris © Creative Commons/ Mr.Nostalgic

Jeanne Poisson, titrée marquise de Pompadour par son royal amant Louis XV jette son dévolu sur un chef d’œuvre d’architecture Régence, l’hôtel d’Évreux. C’est le plus somptueux et le plus vaste de toute l’artère et c’est l’illustration incontestable de cette relative mixité sociale, possible dans ce « nouveau faubourg Saint-Germain », plus tolérant que le quartier exclusivement aristocratique situé rive gauche de la Seine. Le futur Palais de l’Élysée concentre le goût très sûr de la marquise qui achève d’absorber deux petites constructions adjacentes à cet hôtel dont elle fera agrandir les jardins.

Caroline Murat, reine de Naples, dans le boudoir du Palais de l’Elysée, par Hippolyte Le Bas (1782-1867), aquarelle, 1810 - Collection particulière © Creative Commons/ BeatrixBelibaste

Caroline Murat, reine de Naples, dans le boudoir du Palais de l’Elysée, par Hippolyte Le Bas (1782-1867), aquarelle, 1810 - Collection particulière © Creative Commons/ BeatrixBelibaste

Portrait de Madame de Pompadour de François Boucher  (1703–1770), huile sur toile, 1756 - Alte Pinakothek, Munich © Creative Commons/Yelkrokoyade

Portrait de Madame de Pompadour de François Boucher (1703–1770), huile sur toile, 1756 - Alte Pinakothek, Munich © Creative Commons/Yelkrokoyade

Cédé au financier Baujon en 1770, l’Élysée devient un lieu de plaisirs sous le Directoire avant d’abriter une dynastie qui marquera le XIXème siècle : les Bonaparte. Joséphine, qui lui préférera Malmaison après son divorce d’avec Napoléon, Joachim Murat et sa femme Caroline, éphémères souverains de Naples et puis le fameux Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte l’habitent successivement. C’est à l’Élysée que Napoléon III consacre d’une certaine manière le lien indiscutable entre monarchie, république et empire en y perpétrant un coup d’état qui sonne pour le faubourg l’arrivée d’une élite impériale dans ce quartier presque neuf, autour du palais et au-delà d’une place où l’on peut admirer aujourd’hui la dernière perle d’architecture Louis XVI.

Avec son péristyle dorique et ses sobres façades, l’Hôtel de Beauvau-Craon fait toute l’élégance de la place ronde nommée d’après lui et abrite aujourd’hui le ministère de l’Intérieur.

Sommet de l'immeuble occupé par la boutique Hermès, 24 rue du Faubourg-Saint-Honoré  © Creative Commons/ Polymagou

Sommet de l'immeuble occupé par la boutique Hermès, 24 rue du Faubourg-Saint-Honoré © Creative Commons/ Polymagou

Le second empire permettra à ce quartier d’adopter la physionomie qu’on lui connait encore aujourd’hui. Les élégants immeubles de rapport voulus par Hausmann attirent familles et commerçants que l’élégance des architectures patriciennes et le dégagement des artères de circulation séduisent. Au XXème siècle mode et luxe y font une entrée fracassante avec trois maisons qui règnent encore sans partage : Hermès d’abord, pour la sellerie d’exception, Lanvin et Chanel pour la haute couture. Jeanne Lanvin et Gabrielle Chanel ouvrent des salons privés rue du faubourg Saint Honoré où le monde entier se précipite. Si Coco Chanel produit et vend ses créations rue Cambon, c’est bien rue du Faubourg-Saint-Honoré qu’elle reçoit, loge et nourrit tous les artistes de son choix entre les deux guerres.

Ces ambassades du bon goût fréquentent encore aujourd’hui de vraies résidences diplomatiques comme les ambassades des États-Unis et de Grande-Bretagne. Preuve que ce quartier inamovible par nature a su créer une force d’inertie qui protège encore ce que la France a de meilleur.

Le magasin historique Lanvin situé à l'angle du 16 rue Boissy d'Anglas et du 22 rue du Faubourg Saint-Honoré depuis 1889 © DR

Le magasin historique Lanvin situé à l'angle du 16 rue Boissy d'Anglas et du 22 rue du Faubourg Saint-Honoré depuis 1889 © DR

Dans la boutique Lanvin, « The VIC Room » © DR

Dans la boutique Lanvin, « The VIC Room » © DR

Angle de la rue Miromesnil et de la place Beauvau, avec la grille de l'hôtel de Beauvau, actuel ministère de l’Intérieur, 1913 © Creative Commons Zero/Paris Musées-Musée Carnavalet-Histoire de Paris

Angle de la rue Miromesnil et de la place Beauvau, avec la grille de l'hôtel de Beauvau, actuel ministère de l’Intérieur, 1913 © Creative Commons Zero/Paris Musées-Musée Carnavalet-Histoire de Paris

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