Rejeté par le mouvement moderne comme un signe de décadence, considéré par les classiques comme une lingua franca rassemblant les métiers de l’architecture et de la décoration, l’ornement fut au XXe siècle un sujet clivant. Un débat depuis dépassé par la post modernisme architectural et la décoration intérieure contemporaine, volontiers éclectique. Retour sur une notion vieille comme l’humanité…
Une histoire de l’ornement
Lascaux, une vingtaine de milliers d’années avant notre ère. Dans ce qui sera un jour considéré comme l’un des joyaux de l’art préhistorique, des hommes peignent sur les murs et les plafonds, multipliant les représentations d’animaux, aurochs, cerfs ou encore bisons et d’êtres humains. La limite entre art et ornement est ténue, et le sera souvent au cours des siècles, mais si l’on considère que la fonction de ces fresques est d’embellir un lieu, elles font partie des ancêtres de l’ornementation.
Au cours de l’antiquité, plusieurs langages ornementaux vont se nourrir les uns les autres, et développer suivant des modes variées, parfois naturalistes, parfois géométrique. Souvent religieux dans l’Egypte antique, avec la présence de scarabées ou d’œil d’Horus par exemple, les ornements vont se faire bientôt géométriques dans les temps les plus reculées de la Grèce antique, avec l’apparition de clés grecques formant des frises, et de nombreux autres détails que l’on peut retrouver jusqu’à aujourd’hui dans l’ornement occidental. Suivront bien entendu les palmettes, les oves, les rinceaux, les feuilles d’Acanthe et l’ensemble du répertoire classique grecque puis romain qui restera le mètre étalon de l’ornement pour les pays européens durant des siècles, et par bien des aspects jusqu’à aujourd’hui.
Avançons néanmoins jusqu’à l’époque moderne en survolant le moyen âge, pourtant riche d’histoire ornementale, des rois mérovingiens aux bâtisseurs de cathédrale en passant par les interactions avec le monde arabo musulman et son langage ornemental en Espagne et en Palestine, pour arriver à l’avènement de la France des Bourbons. En 1589, l’arrivée sur le trône d’Henri IV signe la fin des guerres de religion, et le début d’une période de prospérité en France.
Avec la sécularisation de l’ornement, jusqu’ici souvent réservé aux motifs religieux, et l’installation à Paris, dans le Faubourg Saint-Antoine, d’ébénistes venus des Etats Allemands et des Flandres, un style français va désormais se développer dans les décors et le mobilier. Sous Henri IV et Louis XIII, les scènes mythologiques et les histoires tirées des livres précieux à la mode font leur apparition dans l’ornement, et la boiserie progresse pour la construction de cabinets. Mais c’est sous Louis XIV que le style français prend toute son ampleur, marquant sa différence avec l’exemple italien qui inspirait jusqu’ici les créations architecturales.
Roi marqué par les révoltes multiples de la haute aristocratie qui ont rythmé son enfance et les règnes de ses prédécesseurs, Louis XIV doit contenir celle-ci en l’attirant à la cour, empêchant qu’elle ne retourne agiter les provinces. Les châteaux royaux, et bientôt Versailles, deviennent ainsi des lieux de vie et de réception permanente, nécessitant des aménagements intérieurs grandioses : le roi doit montrer sa puissance, à ses nobles, et au-delà, à l’Europe entière : partout, le répertoire ornemental tourne autour de l’antique, de la guerre et de la mythologie. Le soleil en figure irradiante représente le roi, la fleur de lys s’impose, les attributs guerriers servent le mythe d’un roi jeune, combattant, grandiose.
Mais les langages de l’ornement suivent les gouts de l’époque, et au début du règne suivant, la noblesse est lassée de la pesanteur de la fin du règne de Louis XIV. Elle aspire à la fête, et les libertins dominent le gout du moment. Les style Régence puis Louis XV voient l’apparition du Rocaille, marquant la séparation entre décoration intérieure et arts majeurs extérieurs : Palmes, ailes de chauve-souris et coquilles deviennent omniprésentes dans le répertoire. L’architecture des façades et le dessin des intérieurs ont désormais chacun leur propre logique, ce que renforce aussi le goût nouveau pour les pièces plus petites, moins pesantes. Détails asymétriques et impression de grâce prévalent désormais sur les décors massifs, mais courbes et contre-courbes conservent un équilibre général. La primeur est désormais accordée au divertissement plutôt qu’à la puissance, et cette évolution s’observe dans le répertoire ornemental, qui fait la part belle aux singeries, aux chinoiseries et aux arabesques.
Les excès d’un règne nourrissant les aspirations de l’autre, à nouveau, tout change sous Louis XVI. La vague néo classique qui a suivi la redécouverte de Pompei et d’herculanum emporte l’Europe, et les motifs du rocaille passent aux oubliettes pour un temps. Les intérieurs ne jurent plus que par le gout de l’antique et du pastoralisme, offrant aux regards béliers, attributs musicaux, cornes d’abondance, nœuds, guirlandes et arabesques. Vient bientôt la révolution, puis l’Empire. Comme au temps de Louis XIV, la puissance est de retour dans l’ornement, appuyé par la volonté de symboliser une nouvelle époque, une nouvelle dynastie impériale. Les abeilles de Napoléon côtoient les sphynges inspirés du gout égyptien, l’aigle impérial et les cygnes côtoient les N gravés.
Dans les décennies suivantes, le XIXe siècle prend gout à la redécouverte des styles d’ancien Régime, mélangeant allégrement les références dans un esprit éclectique. L’art nouveau, puis l’art Déco font revenir un monde de créations originales, célébrant la nature puis l’avènement d’un monde nouveau, avant que le mouvement moderne ne mette temporairement en pause la création ornementale, désormais décadente et superflue dans une architecture dédiée à la fonction. Si l’époque contemporaine se veut à nouveau volontiers éclectique dans sa redécouverte des styles des siècles passés, il n’est pas interdit de penser que comme après le 19e siècle, les décennies à venir amènent à nouveau un moment de création. Pour un langage ornemental du XXIe siècle ?
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