« Saint Jérôme dans son cabinet de travail » par Antonello de Messine, vers 1475, huile sur bois © Public domain/ National Gallery London

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Heritage

Histoire du bureau - Partie I

Armoires, lits, tables, chaises, canapés… Parmi tous les meubles que nous a légué l’histoire, s’il en est un qui est le plus lié à l’évolution de la société, c’est certainement le bureau. Une évidence si l’on se souvient de son usage principal : écrire.

Une activité qui nous parait à tous comme absolument normale aujourd’hui mais qui ne l’est que depuis quelques siècles. Au Moyen Âge, seuls les moines, une partie des grands nobles et certaines professions en sont capables, tout comme lire, et donc échanger des courriers. Trois occupations qui vont aller de pair avec le développement du bureau, celui-ci devenant indispensable à la société lorsqu’elle devient lettrée.

Revenons aux sources : en français, le mot bureau vient de la bure, une étoffe de laine peu chère, qui servait notamment à confectionner les robes de bure pour les moines.

« La Chambre du roi Louis XIII », Château de Brissac (Maine-et-Loire) © Libens libenter / Creative Commons

« La Chambre du roi Louis XIII », Château de Brissac (Maine-et-Loire) © Libens libenter / Creative Commons

A l’origine donc, celle-ci était posée sur une table, afin de créer un espace de travail et de protéger le bois des éclaboussures d’encre. Lorsqu’au court de l’époque moderne, les premières tables à usage spécifique d’écriture pour la noblesse seront inventées, le mot changera d’usage, passant d’un espace de travail temporaire à un meuble. Une petite ironie de l’histoire lorsqu’on songe qu’il redevient de plus en plus de nos jours un lieu temporaire, pour d’autres raisons. Au début du XVIIe siècle, après des décennies de guerres religieuses, la France est en paix. Henri IV règne sur un trône acquis de haute lutte, et la société est prête à passer à des activités plus calmes que les massacres qui ont émaillés le siècle précédent. C’est le début d’une époque d’activité littéraire sans précédent, qui va accompagner le siècle d’or de la puissance française sous Henri IV, Louis XIII, puis Louis XIV. Les salons littéraires, la préciosité, et les échanges épistolaires dans un royaume en pleine centralisation nourrissent le besoin d’un meuble dédié à l’écriture : le bureau.

Sully raconte ainsi dans ses mémoires qu’Henri IV lui demanda « Une espèce de cabinet ou grand bureau proprement travaillé et entièrement garni de tiroirs, de layettes, de cassetins tous fermants à clef, doublé de satin cramoisi. » Le bureau se répand rapidement pour l’usage des rois et de leurs conseillers, de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Les premiers modèles sont souvent couverts de marqueteries précieuses.

Grand bureau de Nicolas Fouquet (œuvre d'André-Charles Boulle), Château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne) © Jean-Pol Grandmont / Creative Commons

Grand bureau de Nicolas Fouquet (œuvre d'André-Charles Boulle), Château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne) © Jean-Pol Grandmont / Creative Commons

Plusieurs modèles apparaissent, comme le cabinet fermé, dédié souvent aux besoins administratifs et épistolaires. Par abus de langage, ceux-ci seront appelés cabinets ou bureaux Mazarin, du nom du ministre de Louis XIII et Louis XIV. Vient ensuite la grande table bureau, plus proche des nôtres, sous Louis XIV et Louis XV. Les bureaux les plus précieux sont à l’époque garnies de marqueterie Boulle, technique qui doit son nom à André Charles Boulle, Ebéniste, et qui consiste à créer un dessin en marqueterie d’écaille de tortue et de cuivre. Prolifique et imaginatif, l’artisan imagine aussi l’ajout de bronzes sur les côtés des meubles afin d’en protéger les arrêtes.

Bureau d'époque Louis XIV dit Cabinet Mazarin © De Boutselis / Creative Commons

Bureau d'époque Louis XIV dit Cabinet Mazarin © De Boutselis / Creative Commons

Bonheur du jour de Martin Carlin, 1770 © Public Domain/The Met/The Jack and Belle Linsky Collection, 1982

Bonheur du jour de Martin Carlin, 1770 © Public Domain/The Met/The Jack and Belle Linsky Collection, 1982

Vient bientôt la régence et le règne de Louis XV, avec l’apparition du bureau à Cylindre et du secrétaire à abattants, qui se parent bientôt des attributs, notamment en bronze, du style rocaille. Le bureau se répand dans la société, et intègrent de multiples raffinements, marqueterie Boulle, marqueterie de bois, panneaux de laques de Chine ou du Japon, et utilisent de nombreuses essences : rose, acajou, palissandre, violette etc… Les grands ébénistes de l’époque multiplient d’ingéniosité et on peut citer parmi les chefs d’œuvres le bureau du roi Louis XV par Jean Henri Riesener. Un monument intégrant en plus de ses raffinements esthétiques une mécanique complexe permettant l’ouverture complète du cylindre par un seul tour de clé. L’ébéniste restera l’artisan de référence de Marie Antoinette, et réalisera encore en 1783 un petit bureau, de style Louis XVI cette fois ci, pour le Trianon. Les bureaux à cylindre étant très couteux à réaliser, des bureaux plus simples viennent ainsi les remplacer vers la fin du siècle. Des petites tables à écriture appelés bonheur du jour sont aussi inventées, pour l’usage spécifique des dames, et de leur courrier. Son pendant, le secrétaire en pente, permet l’écriture sur un pupitre abattant, à l’horizontale.

Bureau exécuté pour le roi Louis XV, par Riesner - Illustration extraite du « Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration - Tome I » par Henry Havard, Ed. Maison Quantin, 1894

Bureau exécuté pour le roi Louis XV, par Riesner - Illustration extraite du « Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration - Tome I » par Henry Havard, Ed. Maison Quantin, 1894

Bureau ministériel, 10 février 1911 : photographie de presse, Agence Rol © gallica.bnf.fr / BnF

Bureau ministériel, 10 février 1911 : photographie de presse, Agence Rol © gallica.bnf.fr / BnF

Avec l’arrivée du XIXe siècle, la France se modernise, et les bureaux désormais en vogue sont les bureaux ministre, inventés au siècle précédent mais désormais appelés à se généraliser dans un monde nouveau où les affaires sont au centre des préoccupations publiques. Ce type de bureau, toujours la base de bien des nôtres aujourd’hui, prévoit donc de chaque côté des jambes un nombre important de tiroirs permettant de ranger de multiples dossiers. Chose pratique pour l’administration comme pour le commerce. C’est aussi l’époque de la réinterprétation des styles classiques français et de la redécouverte des grands ébénistes.

Bureau ministre, second Empire, à caissons (acajou, bois cuir), Collection Mobilier national © Isabelle Bideau/Mobilier National/janvier 2019

Bureau ministre, second Empire, à caissons (acajou, bois cuir), Collection Mobilier national © Isabelle Bideau/Mobilier National/janvier 2019

Le siècle suivant voit les partis pris esthétiques moderniser radicalement les styles, sans changer démesurément la forme des bureaux, simplifiés et dépouillés de leurs ornements. Dans l’après-guerre, la rationalisation du travail de la reconstruction voit la diffusion des bureaux type pupitres muraux, sans piètements, et reprenant le principe de l’abattant servant d’écritoire. Puis c’est l’invention de l’informatique, rendant petit à petit obsolète les multiples tiroirs, les dossiers étant désormais numérisés. Le bureau redevient mobile, un lieu changeant plutôt qu’une pièce de mobilier, et de l’humble robe de bure au home office du travailleur nomade, la boucle est bouclée…

IBM 360/85 console of the NSA, 1971 © Public Domain / Creative Commons

IBM 360/85 console of the NSA, 1971 © Public Domain / Creative Commons

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