C’était autrefois une pièce indispensable dans les grandes maisons, qui vient évoquer le souvenir de temps révolus, faits de fauteuils club, de veste de smoking et d’une vie mondaine trépidante : le fumoir.
A history of
the smoking room
Un lieu de sociabilité masculine ou les hommes se réunissaient après le diner, pour échanger en fumant le cigare, autour de quelques liqueurs. Au point d’inspirer ce passage dans le dictionnaire de l’ameublement et de la décoration d’Henry Harvard, en 1894 « C’est encore là un des reproches, et non le moindre, que l’on fait au cigare, de séparer les sexes, et d’entrainer les hommes à faire bande à part, aussitôt le diner achevé. »
Fort heureusement, les temps changent, et qu’il s’agisse d’attribution de genre ou même de consommation de tabac, le fumoir se confond aujourd’hui avec le salon, et rare sont les lieux qui restent dévolus à l’acte de fumer. Comme un clin d’œil ironique, l’ensemble de fumoir créé par Rinck pour sa collection Hébé sortie en janvier 2021 a été pensée comme un lieu féminin, multipliant les références textiles et ornementales à la puissance symbolique depower womenfortes et ne s’excusant pas de parler fort en buvant un whisky autrefois réservé à leurs grands-pères.
Petit retour historique. Débarqué en Europe au XVIe siècle, puis diffusé au XVIIe siècle, le tabac se répand dans la société au cours des décennies suivantes. C’est ainsi que l’ouverture du Dom Juan de Molière comprend la célèbre tirade de Sganarelle consacré au tabac : « Quoi que puisse dire Aristote, et toute la philosophie, il n'est rien d'égal au tabac, c'est la passion des honnêtes gens ; et qui vit sans tabac, n'est pas digne de vivre ; non seulement il réjouit, et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. » On en est désormais loin….
Avec la spécialisation des pièces de la maison qui prend forme au XVIIIe siècle, le fumoir s’installe dans les demeures bourgeoises, à Paris et à Londres. Ainsi du petit salon de conversation et fumoir de Juliette Récamier, rue de la chaussée d’Antin. Mais c’est sous l’empereur suivant que la mode va s’étendre en France, comme il s’étend dans l’Angleterre Victorienne et les mansions américaines du Gilded Age. L’époque est alors à l’éclectisme, et à l’exotisme dans les fumoirs, ces lieux qui s’inspirent alors de l’orient et de ses délices fantasmés, en pleine période d’expansion coloniale. Grand amateur de tabac, Napoléon III s’est initié à ce vice dans les clubs londoniens, et installe des fumoirs à Compiègne et à Fontainebleau. Pas une demeure de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie ne manque alors de cette pièce à la mode
Au début du siècle suivant, c’est l’essor de l’Art Déco ainsi que l’aventure des paquebots transatlantiques qui va relancer une nouvelle fois la vogue des fumoirs. Atteignant parfois des summums de raffinement, les créations des années 20 comme le fumoir en laque de Jean Dunand pour l’exposition internationale de 1925 vont marquer leur époque. On peut aussi citer le sublime fumoir de Lucie Renaudot paru en 1929 dans Mobilier et Décoration. Ou celui de Ruhlmann pour monsieur Léon Dubly paru dans l’illustration en mai 1933. Les codes de la masculinité sont souvent renforcés par l’usage du cuir et de boiseries sombres. Les tables de jeux font aussi leur apparition dans le fumoir à cette époque, un point que nous avons souhaité reprendre dans la collection Rinck 2021. Les vices s’attirant, il n’est pas étonnant de réunir les fonctions de fumer, de boire et de jouer dans la même pièce !
Pour la collection Hébé, les équipes de Rinck ont proposé une version correspondant à leur époque, où la boite à cigare peut être transformée facilement en boite à bijoux, et le fauteuil club a été débarrassé de son pesant cuir cognac. Un ensemble de fumoir contemporain, que chacun peut s’approprier pour meubler un salon, avec son cabinet à liqueurs, son sofa et ses tables d’appoint. Sans oublier les tables basses en métallisation spaltée, pièce emblématique de la collection.